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Sarah Kane: Dramaturgie de la Violence
I - PARTI PRIS DE LA VIOLENCE

 

"It would be a pity if [...] we were to miss the explosive theatricality, the lyricism, the emotional power, and the bleak humour that is contained within the [Sarah Kane's] plays." [ref 1-1]

L'œuvre de Sarah Kane est sans aucun doute violente et les images sanglantes y abondent. La dramaturge dérange son spectateur, choque, bouscule les conventions d'un théâtre où la violence physique n'a jamais lieu sur scène. Théâtre "insoutenable", "immature", "vulgaire"... Si de nombreux critiques enferment le travail de l'auteur dans ces qualifications, ils passent également à côté de l'essentiel. Certes la violence y est présente mais on peut se demander ce qu'elle signifie, et la raison pour laquelle l'auteur y fait appel. Une certaine presse serait-elle passée à côté de l'humour dont fait preuve Sarah Kane? Aurait-elle oublié la poésie et le lyrisme de son travail?

 

I - 1. Le corps en scène

I - 1. A / Spécificité de la violence

Il serait bien sûr difficile de soutenir que les pièces de Sarah Kane aient pour valeur le divertissement. Dans Blasted, par exemple, ce que Kane offre au spectateur est quelque peu saisissant: on s'y masturbe, on y crache, on y viole, on y arrache des yeux; la violence transpire de partout. Toutefois, en aucun cas celle-ci n'est hasardeuse et les actes de violence sont loin d'être de simples ornements destinés à faire scandale auprès du public. En effet, ceux-ci se trouvent minutieusement structurés au cœur de la pièce. A ce propos, en évoquant Blasted, Sarah Kane commente:

"I was reading all these reviews and thinking, 'but that's not what I wrote at all!' What was being described was a soldier comes in and randomly rapes Ian."
[ref 1-2]

Les critiques ont réduit la pièce à un acte de violence, sans même chercher à comprendre son origine et sa signification. Finalement, ils ont totalement occulté la première partie qui se déroule entre Ian et Cate:

"And what they [the critics] kept ignoring was the fact that he does it with a gun to his head which Ian has done to Cate earlier - and he is crying his heart out as he does it." [ref 1-3]

Ian n'abuse pas de Cate par simple désir sexuel. Il se trouve en position de force et la soumission de la jeune femme lui permet de s'imposer, d'assouvir son manque et son besoin d'exister, tandis qu'il est sur le point de mourir. C'est uniquement lorsque le moment de crise entre Ian et Cate atteint son point culminant, que le soldat fait son apparition. Celui-ci représente en quelque sorte l'impossibilité de la relation entre les deux autres personnages. C'est maintenant lui qui apparaît comme étant le plus fort, en matière de violence, et affirme sa supériorité en violant Ian. Il s'agit par-là même d'une Rédemption partielle pour le personnage de Ian. L'homme se retrouve à la fois bourreau et victime, comme le soldat qui a vécu les atrocités de la guerre. Les relations entre les personnages ne sont jamais égales et, c'est finalement, dans l'instant, le plus puissant qui domine, comme dans notre société:

"Rape is shown not as a single brutal act, but as structured into a deeply unequal relationship, and performed with a whingeing self pity." [ref 1-4]

Dans Cleansed, la violence est également intégrée de façon très spécifique. Les personnages se font torturer suite à des actions bien significatives. Par exemple, à la demande de Graham, Tinker injecte de la drogue dans l'œil de celui-ci qui lui en est d'ailleurs reconnaissant:

"Thank you, Doctor." (CL 108)

Si Carl se fait battre, au début de la scène 4, c'est parce que Tinker vient de l'observer en train de déclarer son amour à Rod dans la scène 2 et qu'il semble décidé à tester les limites de ses affirmations. Tinker l'empale alors jusqu'à ce qu'il trahisse la promesse qu'il a faite à Rod:

"Rod [...] I'll never betray you." (CL 110)

Il obtient gain de cause car c'est ce qui se produit:

"Rod Not me please not me Rod not me don't kill me ROD NOT ME ROD NOT ME" (CL 117)

Lorsqu'il se fait, ensuite, couper la langue, c'est pour ne plus faire de promesses, puisqu'il n'est pas capable de les tenir. De la même façon, Grace n'est pas battue, dans la scène 10, par hasard. Elle vient de faire l'amour avec son propre frère, Graham. La conscience collective décline volontiers cet acte comme décadent. Cet amour incestueux se trouve donc puni. Les voix confirment, très vite, la sentence:

"Dead, slag
She was having it off with her brother" (CL 131)

Cette violence se justifie également par ce que Grace demande précédemment à Tinker:

"Treat me as a patient." (CL 114).

Les coups qui lui sont infligés la privent ainsi de souffrance, de désir et de parole. De la même façon, le sexe de Carl est cousu sur Grace, permettant à celle-ci d'avoir l'apparence de son frère, chose à laquelle elle aspire depuis le départ:

"I look like him. Say you thought I was a man." (CL 114).

Par la même occasion, cette violence prive Carl de toute communication par le sexe. Il y a donc une logique à la violence, et celle-ci n'est pas générale. De fait, elle est spécifique à chaque personnage et à chaque situation.

 

I - 1. B / La violence au service de la vérité

Dans les pièces de Sarah Kane, la violence physique arrive brutalement. Elle est finalement le résultat d'une violence intérieure, plus explicitement explorée dans Crave et 4.48 Psychosis. Toutefois, celle-ci n'est jamais fantasmée par son auteur. Si Sarah Kane raconte des histoires, elle donne aussi à voir au spectateur une vérité:

"My responsibility is to the truth, however difficult that truth happens to be." [ref 1-5]

Ainsi, l'article scabreux que Ian dicte au téléphone, dans la première scène de Blasted, n'a rien d'une fiction:

"Both the stories that Ian dictates and the one he reads are actually straight from The Sun [...]. I did want them to be the real thing." [ref 1-6]

De la même façon, on pensera que l'acte du soldat mangeant les yeux de Ian dans Blasted est complètement bestial et excessif. Cependant, Sarah Kane s'est inspirée d'un fait réel pour ce qui est de ce passage:

"I was reading Bill Buford's Among the Thugs, about football violence. There was an undercover policeman who was pretending to be a Manchester United supporter and he was found out. A guy attacked him, then sucked out one of his eyes, bit it off, spat it out on the floor and left him there. And I just couldn't fucking believe what I'd read [...]. I put it in the play and everyone was shocked." [ref 1-7]

Pareillement, le Robin de Cleansed est né de la réalité. Sarah Kane s'est même inspirée du lieu du fait réel auquel il se rattache pour donner ce prénom à son personnage:

"Robin is based on a young black man who was on Robben Island with Nelson Mandela." [ref 1-8]

Elle utilise un vrai prénom pour Robin, tout en conservant la consonance du nom de l'île sur laquelle se trouvait le jeune homme: "Robben". Mais ceci n'est pas la seule similarité que Robin partage avec lui:

"He was eighteen years old; he was put in Robben Island and told he would be there for forty-five years. Didn't mean anything to him, he was illiterate. Some of the other prisoners taught him to read and write. He learnt to count, realised what forty-five years was and hung himself." [ref 1-9]

Effectivement, ces situations sont extrêmes mais, Sarah Kane nous donne, simplement, à voir jusqu'où peut aller la nature humaine en matière de violence. Elle ne pousse pas la réalité à l'extrême, elle la montre, redonnant corps aux atrocités qui peuplent chaque soir nos journaux télévisés. Les scènes d'empalement de Cleansed s'inspirent de rapports sur la Bosnie:

"It's a form of crucifixion which Serbian soldiers used against Muslims. And I tend to think that anything that has been imagined, there's someone somewhere who's done it." [ref 1-10]

Ainsi, on peut se demander pourquoi le public supporte de voir aux informations télévisées un palestinien souffrant, alors qu'il se choque que le personnage de Ian mange un bébé au théâtre. La fiction du théâtre semble finalement renvoyer plus au sens que la réalité montrée à la télévision. En effet, Sarah Kane réintroduit en quelque sorte l'obscène, à savoir ce qui se passe hors de la scène. Paradoxalement, l'effet de réalité est sans doute plus perturbant au théâtre, puisque le spectateur se trouve confronté à des corps réels et que tout se déroule sous ses yeux, tandis que la télévision ou les journaux impliquent une distance physique. L'écriture incisive de Sarah Kane y est certainement aussi pour quelque chose. Celle-ci le confirme d'ailleurs:

"The only reason it's only more devastating than reading a newspaper is that all the boring bits have been cut out." [ref 1-11]

C'est un théâtre brut que propose l'auteur pour évoquer une réalité qui n'a rien de tendre. En effet, elle livre un travail brutal, mis à nu et sans artifices. En aucun cas, elle ne cherche à tirer les larmes de son spectateur, comme savent si bien le faire les médias. Le théâtre, encore très policé de nos jours, apparaît donc chez la dramaturge sans ornements. C'est violemment qu'elle interpelle le spectateur pour évoquer une réalité sans merci:

"My play is only a shadowy representation of a reality that's far harder to stomach. It's easier to get upset about that representation than about the reality because it's easier to do something about a play - ban it, censor it, take away the theatre's subsidy." [ref 1-12]

Sarah Kane est alors en confrontation implacable avec le sens. Elle n'amène pas son public à s'émouvoir, mais à réfléchir et à entretenir un rapport critique au monde. Elle tourne vers le spectateur son propre miroir afin de l'amener à se questionner sur ce qu'il est. A ceux qui se choquent de tant de violence sur scène, l'auteur répond avec autorité:

"Sometimes we have to descend into hell imaginatively in order to avoid going there in reality. For me, it's crucial to commit to memory events we haven't experienced - in order to avoid them happening. I'd rather risk overdose in the theatre than in life." [ref 1-13]

Elle recherche finalement une catharsis qui consiste, en quelque sorte, pour le spectateur, à se purifier. On ne peut pas pour autant parler de Sarah Kane comme d'un auteur politique puisqu'elle ne délivre pas un message à proprement parler:

"[...] for me the job of an artist is someone who asks questions and a politician is someone who pretends to know the answers. [...] And I think what can I do other than say 'well there's this problem' and look at some of the aspects of the problem and let people make up their own mind." [ref 1-14]

On ne trouve pas de distanciation morale dans les pièces de la dramaturge, et on ne peut pas dire qu'il y ait une leçon à en tirer. Il s'agit véritablement d'un théâtre des sens, amenant à une remise en question de notre société:

"What I can do is put people through an intense experience. Maybe in a small way from that you can change things." [ref 1-15]

 

I - 2. Humour noir

Si la violence y est sérieuse, les pièces de Sarah Kane ne s'entendent pas non plus au premier degré. Il s'agit également d'un théâtre où l'humour n'est pas en reste.

On peut sans doute considérer 4.48 Psychosis comme la pièce la plus noire de la dramaturge. Pourtant, le spectateur ne sort pas de sa représentation abattu de chagrin. L'idée de la mort y est évoquée à maintes reprises, toutefois la dérision ne s'en détache jamais. L'humour noir atteint son apogée au moment où l'auteur parodie le langage médical en l'utilisant pour présenter une tentative de suicide:

"100 aspirin and one bottle of Bulgarian Cabernet Sauvignon, 1986. Patient woke in a pool of vomit and said 'Sleep with a dog and rise full of fleas.' Severe stomach pain. No other reaction." (PS 225).

Cet humour est omniprésent dans l'œuvre de l'auteur. Dans notre société, la mort demeure pourtant un sujet très tabou. Elle est associée à la souffrance et à la peur. Chez Sarah Kane, en revanche son évocation est souvent tournée en dérision.

Par exemple, le Ian de Blasted est en train de mourir, cependant, il entretient un détachement très ironique par rapport à sa maladie. Ainsi, le personnage évoque son poumon comme s'il s'agissait d'un simple morceau de viande: "this lump of rotting pork" (B 11). L'évocation de sa maladie ou de ce qui la provoque le rend terriblement cynique:

Cate Whenever I think of you it's with a cigarette and a gin.
Ian Good. (B 11)

Ian n'évoque jamais sa maladie comme quelque chose de tragique. Il s'en amuse constamment et ne cesse de plaisanter sur ses dépendances:

Cate How can you smoke on an empty stomach?
Ian It's not empty. There is gin in it. (B 28)

Pour rassurer Cate, il avance ironiquement: "Don't worry, I'll be dead soon" (B 25). Son cynisme ne le quitte pas, à tel point que lorsque Cate lui demande s'il a prévenu Matthew de sa maladie, celui-ci répond: "I'll send him an invite for the funeral." (B 18).

A l'humour grinçant de ce personnage s'ajoute son racisme primaire et ses préjugés, tellement caricaturaux qu'on ne peut s'empêcher d'en rire. Ian associe ainsi directement l'apparence des gens à leur personnalité: "You dress like a lesbos. I don't dress like a cocksucker." (B 19). Il s'exprime comme si l'homosexualité résidait dans la tenue vestimentaire. Parce que Cate est habillée ainsi, celui-ci affirme qu'elle est potentiellement lesbienne. Ou encore, il associe nécessairement le football à la violence et lorsque Cate lui dit qu'elle est allée voir un match, il lui demande: "Didn't you get stabbed?" (B 19). De la même façon, pour être quelqu'un de bien, aux yeux de Ian, il faut nécessairement posséder un revolver, comme lui:

Cate Perhaps she [Stella]'s a nice person.
Ian he don't carry a gun. (B 18)

On peut également entendre l'évocation de ce revolver comme une métaphore du sexe masculin. Stella, n'étant pas un homme, ne peut pas être quelqu'un de bien. Ian a un besoin terrible d'affirmer sa masculinité et de prouver qu'il a du pouvoir, ce qui le rend primaire dans ses réflexions. Les idées préconçues qu'il profère sont tellement énormes qu'elles font sourire. Tout est cliché et sarcasme:

"Hitler was wrong about the Jews who have they hurt the queers he should have gone for scum them and the wogs and fucking football fans send a bomber over Elland Road finish them off.

(He pours champagne and toasts the idea.)" (B 19).

La fierté qu'il semble tirer de ses propos le rend ridicule. Ian mélange tout, sa maladie le rend aigri et son aigreur le rend drôle. Le personnage de Ian, et son humour par rapport à ces préjugés, sont d'ailleurs inspirés d'un homme que Sarah Kane connaissait. Comme Ian, celui-ci était en train de mourir d'un cancer et racontait des histoires extrêmement racistes:

"I was completely torn: a) because they were very funny, and very good jokes; b) because I wanted to tell him he was awful and I was glad he was dying of lung cancer; and c) because he was dying of lung cancer, I thought: 'This poor man is going to be dead and he probably wouldn't be saying this if he wasn't." [ref 1-16]

C'est certainement la maladie de Ian qui le rend ironique par rapport à celle-ci, et cynique quant à tout ce qui l'entoure:

"You have kids, they grow up, they hate you and you die." (B 21).

Le personnage ridiculise la vie et se met lui-même dans des situations ridicules. Lorsque Cate lui dit qu'elle n'aime pas ses vêtements, par exemple, celui-ci se déshabille et s'exclame: "Put your mouth on me." (B 7). Même Cate est amusée par la réaction primaire de Ian:

Cate (Stares). Then bursts out laughing.) (B 8).

Comme Ian, Hippolyte de Phaedra's Love possède un sens de l'humour aiguisé, qui constitue finalement l'unique chose lui permettant de survivre:

"I think when you are depressed oddly your sense of humour is the last thing to go; when that goes then you completely lose it. And actually Hippolytus never loses it." [ref 1-17]

C'est dans le cynisme et l'honnêteté sans limite dont fait preuve Hippolyte que réside la plupart de l'humour de Phaedra's Love:

"Hippolytus is a complete shit, but he's also very funny, and for me that's always redempting." [ref 1-18]

La dureté du personnage constitue en réalité une honnêteté sans limite. Il se joue constamment de l'hypocrisie du monde qui l'entoure. A Phèdre, qui pleure devant l'indifférence de celui-ci suite à une fellation, celui-ci laisse échapper: "There. Mystery over." (PH 81). Il ridiculise totalement l'acte de Phèdre qui a décidé auparavant d'avoir une relation sexuelle avec lui pour l'oublier. Hippolyte ne prend pas cet acte pour une preuve d'amour et il y reste totalement indifférent, à tel point qu'il conseille ensuite cyniquement à Phèdre:

"Fuck someone else imagine it's me. Shouldn't be difficult, everyone looks the same when they come." (PH 82)

En revanche, il considère la mort de Phèdre comme une véritable preuve d'amour: "This is her present to me" (PH 90). Sarah Kane tourne une fois de plus la mort en dérision, à travers le personnage d'Hippolyte qui voit le suicide de sa belle-mère comme un acte qui le libère de ses propres tourments:

"Not many people get a chance like this. This isn't tat. This isn't a bric-a-brac." (PH 90).

Lorsqu'il est à son tour sur le point de mourir, il va même jusqu'à avancer:

"If there could have been more moments like this." (PH 103),

comme si la mort était positive puisqu'elle lui permettait enfin de ressentir quelque chose de fort. Ce qui peut avant tout s'avérer dérangeant pour le spectateur réside finalement dans le fait qu'il y a une certaine positivité de la mort chez Sarah Kane. C'est souvent dans celle-ci que les personnages trouvent leur Rédemption et leur soulagement.

Comme elle le fait avec la mort, Sarah Kane se fait un plaisir de s'amuser avec un autre sujet délicat à aborder dans notre société: la religion. Dans Blasted, par exemple, Ian affirme:

"No reason for there to be a God just because it would be better if there was." (B 55),

opinion qu'il partage avec Hippolyte de Phaedra's Love et qu'il exprime souvent avec sarcasme. Lorsque Cate tente de lui expliquer qu'il a échappé au suicide grâce à l'intervention de Dieu, celui-ci lui rétorque: "The cunt." (B 57).

Dans Phaedra's Love, la scène entre Hippolyte et le prêtre soulève tout aussi cyniquement le débat de l'existence de Dieu. D'entrée, le vocabulaire employé par l'église est tourné en dérision:

Priest Son.
Hippolytus You're not my father [...] (PH 92).

Hippolyte est athée et remet en question l'idée religieuse de confession en insistant sur l'hypocrisie d'une éventuelle conversion:

"What do you suggest, a last minute conversion just in case? Die as if there is a God, knowing that there isn't? No, if there is a God, I'd like to look him in the face knowing I'd died as I lived. In conscious sin." (PH 94)

L'ambiguïté du prêtre fait également partie du comique de la situation. Effectivement, à l'heure du débat sur la chasteté des prêtres dans la religion catholique chrétienne est à son apogée, et lorsqu'on connaît la condamnation de l'homosexualité par la bible, la fellation du prêtre à Hippolyte peut constituer une véritable ironie. De plus, Sarah Kane s'amuse également ici à reprendre l'acte de communion: le prêtre mange Hippolyte comme s'il mangeait le corps du Christ. Et à celui-ci de le ridiculiser:

"You sin knowing you'll confess. Then you're forgiven. And then you start all over again. How do you dare mock a God so powerful?" (PH 96).

Sarah Kane remet en question les conventions conservatrices de notre société. Ainsi, elle n'hésite pas à ironiser sur la religion par le biais de ses personnages, mais également sur le mariage:

Doctor Are you still in love with him [Theseus]?
Phaedra Of course. I haven't seen him since we married. (PH 68)

Outre l'humour dont sont dotés bon nombre de ses personnages et des situations qu'elle crée, Sarah Kane joue également avec le contraste, créant ainsi des effets de décalage qui participent grandement à l'humour de ses pièces. Le début de Blasted installe déjà la pièce dans l'ironie puisque la première phrase de Ian rompt totalement la description de la chambre d'hôtel luxueuse qui précède:

"I've shat in better places than this" (B 3).

Le langage du personnage est totalement en décalage avec ce que le spectateur voit. Sarah Kane s'en amuse aussi dans Phaedra's Love où le langage libéré des personnages se trouve en opposition à leur statut de membres d'une famille royale. Ainsi Hippolyte affirme avec amusement: "Everyone wants a royal cock, I should know" (PH 74). Et son sarcasme atteint son comble lorsqu'il continue:

"News. Another rape. Child murdered. War somewhere. Few thousand job gone. But none of this matters 'cause it's a royal birthday." (PH 74)

Le cynisme et la crudité du langage des personnages créent un décalage immense par rapport à l'idée que se fait la pensée commune d'une famille royale, mais également par rapport à la pièce de Sénèque. Sarah Kane se plaît d'ailleurs à appeler sa pièce, inspirée de la tragédie classique, "my comedy" [ref 1-19]. L'auteur détourne les conventions et ne pas tenir compte de l'humour noir qui habite son travail serait lui ôter une partie de sa dimension.

En traitant des situations extrêmement violentes et dramatiques, l'auteur parvient à faire sourire son spectateur. Ainsi, dans une pièce où les esprits se perdent et se fragmentent, comme Crave, si la violence que constitue la perte de soi domine, l'humour ne s'en éloigne jamais:

"As a child I liked to piss on the carpet. The carpet rotted and I blamed it on the dog." (CR 167)

La difficulté de communiquer, au cœur de l'œuvre de l'auteur, est traitée avec ironie. Dans Crave, B ne parvient pas à exprimer son sentiment d'amour pour M. Il se trouve donc contraint d'utiliser d'autres langues que la sienne telles que l'allemand, le serbo-croate, ou encore l'espagnol: "Besos brujos que me matan" [ref 1-20] (CR 176). La dramaturge soulève ici, avec humour, la question de l'incommunicabilité par le langage parlé.

La façon que Sarah Kane a de traiter avec humour des éléments dramatiques m'évoque la célèbre phrase de Beaumarchais:

"Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer." [ref 1-21]

En effet, c'est finalement ce que font la plupart de ses personnages, et cette citation pourrait également s'appliquer à la manière dont fonctionne l'auteur dans son procédé d'écriture. Dans les pièces de Sarah Kane, l'humour est, bien sûr, grinçant et ironique, mais jamais gratuit.

 

I - 3. Imagerie poétique: sens et interprétation

Si, chez Sarah Kane, la violence est présente et l'humour souvent noir, c'est paradoxalement d'amour que traite l'ensemble de ses pièces. Cleansed montre à quel point celui-ci peut survivre aux situations les plus extrêmes:

"They are all emanating this great love and need and going after what they need, and the obstacles in their way are all extremely unpleasant but that's not what the play is about. What drives people is need, not the obstacle." [ref 1-22]

Les déclarations d'amour abondent dans le théâtre de l'auteur. Le long monologue de A en est sans doute l'exemple le plus évident. A évoque des choses du quotidien, et pourtant son discours déborde de lyrisme. L'absence totale de ponctuation y est certainement pour quelque chose, puisqu'elle indique ici la délivrance du personnage. Les mots se suivent, le discours est passionné, et A se laisse aller à son amour:

"And I want to play hide-and-seek and give you my clothes and tell you I like your shoes and sit on the steps while you take a bath and massage your neck [...]" (CR 169).

Si le discours de Rod à Carl dans Cleansed peut paraître dur, il constitue aussi une grande déclaration d'amour:

"I love you now.
I'm with you now.
I'll do my best moment to moment not to betray you.
Now.
That's it. No more. Don't make me lie to you." (CL 111)

La plupart des personnages de Sarah Kane se sacrifient pour l'amour. Rod en fait partie, mais également Grace qui va jusqu'à perdre sa propre identité pour devenir son frère, qu'elle aime passionnément. Même le personnage de Tinker, qui teste l'amour de chacun des personnages, s'éprend de la danseuse:

"Tinker Fuck me fuck me fuck me I love you I love you I love you why have you come?" (CL 148).

L'amour est présenté comme un sentiment incontrôlable. Les personnages se perdent littéralement en celui-ci. Ainsi, dans Phaedra's Love, Phèdre ne parvient pas à se maîtriser, même si son amour pour Hippolyte la fait souffrir:

"Phaedra There's a thing between us, an awesome fucking thing, can you feel it? It burns. Meant to be. We were. Meant to be." (PH 71)

Dans Blasted, Cate est prête à tout pour soulager Ian. Malgré ce qu'il lui inflige, elle va jusqu'à revenir dans la chambre d'hôtel à la fin de la pièce, pour lui apporter à manger:

"She feeds Ian with the remaining food.
She pours gin in Ian's mouth." (B 61)

De nombreux critiques semblent n'avoir pas remarqué les élans d'amour et de lyrisme qui habitent le théâtre de l'auteur. Ils passent, ainsi, à côté de la tendresse, en prenant la violence au premier degré alors que les pièces de Sarah Kane ne se limitent pas au langage parlé:

"I think critics have problems discussing theatrical imagery anyway. [...] What's the point of writing a play that doesn't have an image structure, but [with Blasted] that image structure seemed to be completely ignored and it takes away the meaning. [...] You have to look at the context of the image." [ref 1-23]

En effet, Sarah Kane utilise un langage d'images théâtrales, c'est à dire, un langage des corps, qui fait appel à des codes symboliques. Chacune de ces images intègre véritablement la continuité de ses pièces et se trouvent habilement structurées.

Dans l'ensemble de son œuvre, les images de violence extrême sont souvent apposées à des images fortes de poésie. Par exemple, après la scène d'amour entre Grace et Graham, un tournesol jaillit:

"A sunflower bursts through the floor and grows above their heads" (CL 120).

Cette fleur héliotrope éclate alors devant eux comme s'ils représentaient le soleil, ou du moins comme si le soleil venait d'éclater au-dessus de leur tête. Une profusion de jonquilles éclôt ensuite, après la torture et le viol de Grace par les voix:

"Out of the ground grow daffodils" (CL 133).

Les images lyriques comme celle-ci abondent. Sarah Kane fait même référence à des chansons qui participent à l'imagerie poétique de la pièce, et à Grace et Graham d'entonner leur amour l'un pour l'autre:

"They sing the first verse of 'You Are My Sunshine' by Jim Davis and Charles Mitchell" (CL 119).

Tandis que Carl et Rod écoutent le chant d'un enfant:

"On the other side of the fence a child sings - Lennon and McCartney's 'Things We Said Today'." (CL 136)

Certaines actions physiques des personnages servent l'imagerie poétique de Sarah Kane. D'emblée, cela m'évoque le passage où Graham et Grace dansent l'un pour l'autre:

"Graham dances - a dance of love for Grace. Graces dances opposite him, copying his movements" (CL 119).

à l'instar de Carl exprimant son amour pour Rod:

"He begins to dance - a dance of love for Rod" (CL 136).

Ainsi, la violence sert-elle bien souvent de métaphore pour faire ressortir ces images de tendresse. Sarah Kane a d'ailleurs déclaré à propos de Cleansed:

"It was never about the violence, it was about how much these people love. I think Cleansed more than any of my other plays uses violence as a metaphor." [ref 1-24]

Lorsque Tinker coupe la langue de Carl, par exemple, ce que signifie ce geste a plus d'importance que le geste lui-même. En effet, c'est l'organe de trahison de l'amour de Carl et de Rod que Tinker supprime. Au moment où Tinker commence à torturer Carl, celui-ci s'écrie: "Not me please not me [...] Rod not me" (CL 117).

Dans une didascalie comme:

"He (Tinker) takes Carl by the arms and cuts off his hands" (CL 129),

la violence est hautement symbolique. En effet, il ne faut jamais perdre de vue le contexte dans laquelle elle apparaît. Ici, par exemple, Carl vient tout juste de se servir de ses mains pour écrire à Rod, avant de se les faire couper:

"It's not about the actual chop. It's about that person who can no longer express love with his hands [...]" [ref 1-25]

Comme Carl a été privé de sa langue après avoir trahit Rod par la parole, on lui coupe maintenant les mains pour, on le suppose, avoir une fois de plus faillit dans l'expression de son amour par les mots.

De la même façon, dans Blasted, le fait que Ian se fasse manger les yeux constitue un symbole à part entière:

"Given also that Ian was a tabloid journalist I thought in a way it was a kind of castration, because obviously if you're a reporter your eyes are actually your main organ. So I thought rather than have him castrated, which I thought felt melodramatic, I could go for a more kind of metaphorical castration." [ref 1-26]

La violence physique n'intervient pas par simple acte de barbarisme, mais pour mettre en avant l'impuissance du personnage de Ian. Cette métaphore confère véritablement de la poésie à la pièce, tout comme l'utilisation de la lumière dans Crave et dans 4.48 Psychosis pour représenter la mort:

"Remember the light and believe the light.
An instant of clarity before eternal night" (PS 206)

A l'utilisation de cette image s'ajoute l'importance du rythme et des sonorités. En parlant de Crave, l'auteur affirme par ailleurs:

"I wanted to find out how good as a poet I could be while still writing something dramatic." [ref 1-27]

un style d'écriture qu'elle prolonge avec 4.48 Psychosis. Si l'on regarde Crave en tant que simple spectateur, on remarque que la pièce est plus composée d'images poétiques qui se font écho entre elles que d'une véritable histoire entre des personnages clairement définis. Une simple représentation de la pièce ne laisse d'ailleurs pas la possibilité au spectateur de chercher à comprendre qui parle à qui. Celui-ci se laisse plutôt porter par le son des voix et les images. S'il essaie d'analyser ses impressions, la pièce perd une partie de sa magie:

"[Crave] was absolutely about creating the rhythm through the communication of the lines to the next person. It wasn't about a member of the audience being able to ponder the meaning of each individual line." [ref 1-28]

Comme pour des poèmes, chacun fait sa propre interprétation des pièces de Sarah Kane. L'auteur fournit très peu d'explications et ne donne pas de réponse, privilégiant ainsi le lyrisme. La musicalité atteint alors son apogée. Sarah Kane concède d'ailleurs au sujet de Crave:

"There are a couple of times I used musical notation, only the rhythm without actual words." [ref 1-29]

Si l'amour se trouve au cœur de l'œuvre de l'auteur, la violence sert de métaphore pour évoquer ses difficultés. Cependant, malgré leur souffrance, les personnages se sacrifient pour cet amour, jusqu'à en mourir, chacune des pièces constituant un véritable chant d'espoir:

"I don't find my plays as depressing or lacking in hope. [...] To create something beautiful about despair, out of a feeling of despair, is for me the most hopeful, life affirming thing a person can do." [ref 1-30]

 

© Emilie Gouband 2002
reproduced on the site with the kind permission of the author

 

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